Caroline Quach-Thanh
Cette épidémiologiste a tout fait pour protéger les Québécois contre la COVID-19.
Dès février dernier, la docteure Caroline Quach-Thanh sait que le Québec va y goûter. Déjà, la COVID-19 se répand sur la planète, semant la mort sur son passage.
Responsable du contrôle des infections à l’Hôpital Sainte-Justine, elle se retrousse vite les manches. Objectif : éviter la propagation du virus dans son établissement. « Au début de la crise, je travaillais 18 heures par jour ! » s’exclame-t-elle.
Il y a tant à faire. En plus de suivre en continu l’évolution des connaissances sur l’infection, elle doit agir dès qu’un cas semble suspect, autant parmi les employés que chez les jeunes patients. Débrouillarde, elle trouve même, avec son équipe, une façon de désinfecter les masques de protection – les fameux N95 – pour pouvoir les réutiliser, car on en manque !
À ce moment, elle donne en plus des entrevues dans les médias presque tous les jours. Cette voix souriante rassure les Québécois, confinés chez eux, et les aide à mieux comprendre les informations – parfois contradictoires – qui circulent sur le virus.
Pas mal pour une fille qui n’aurait peut-être pas choisi la médecine si ce n’avait été de ses parents, qui l’ont élevée à la vietnamienne. « J’avais de bonnes notes, alors ils m’ont dit de faire ma médecine, en ajoutant que rien ne m’empêchait de faire autre chose après. J’étais une fille bien élevée et je ne me connaissais pas assez pour avoir une autre idée. Alors je l’ai fait », confie-t-elle.
Sa maîtrise en épidémiologie – l’étude des facteurs qui favorisent l’apparition des maladies dans le but de prévenir celles-ci – lui a donné la piqûre. « J’adore faire de la recherche. J’ai compris que je pouvais ainsi trouver des réponses et faire une différence », dit celle qui a été reconnue parmi les 100 femmes les plus influentes au pays l’an dernier.
Cette experte en santé publique respectée participe à plusieurs comités qui conseillent le gouvernement sur une foule de sujets, dont l’ouverture des écoles et le vaccin contre la COVID-19. Car une fois qu’on l’aura, ce fameux vaccin, à qui l’offrira-t-on en priorité ?
Pour Caroline Quach-Thanh, pas question, cependant, d’accepter des responsabilités juste pour le prestige. La présente crise a été l’occasion pour elle de se recentrer sur l’essentiel : mettre ses connaissances et son expérience au service de la lutte contre la pandémie. « Je travaille vite et bien. Mais quand je n’aime pas ce que je fais, je m’épuise. Il faut que mon boulot parle à mon moi profond. » Elle y gagne, et les Québécois aussi.
Dominique Anglade
Habituée aux premières, elle a pris la direction du Parti libéral du Québec.
Dominique Anglade carbure aux défis. Et elle en a relevé tout un cette année : être la première femme – et la première personne racisée – à diriger le Parti libéral du Québec. Il était temps : le parti existe depuis 153 ans !
Briser le plafond de verre ne lui a jamais fait peur. « À 10 ans, je voulais devenir papesse. Je l’ai même dit à Jean-Paul II quand il est venu au Québec [en 1984] », raconte-t-elle dans un grand éclat de rire. Quelle ne fut pas sa déception lorsqu’elle a appris que les femmes ne pouvaient accéder au poste… Son père lui a suggéré d’aller lire au sujet de la papesse Jeanne, qui aurait brièvement occupé le Saint-Siège au 9e siècle. De quoi requinquer la jeune fille.
« J’ai été élevée par deux féministes », dit Dominique Anglade. Sa mère, l’économiste Mireille Neptune, et son père, le géographe et écrivain Georges Anglade, décédés en Haïti lors du séisme de 2010, lui ont tous deux insufflé le désir de se surpasser.
À 24 ans, cette ingénieure – diplômée de Polytechnique et de l’École des hautes études commerciales de Montréal (HEC Montréal) – dirigeait déjà un département d’une centaine d’employés chez Procter & Gamble, à Belleville, en Ontario. C’était là une excellente occasion d’affirmer son leadership. « J’étais quatre fois une minorité : francophone, femme, jeune et issue des communautés culturelles », souligne-t-elle. Elle a rencontré chacun de ses employés, des hommes blancs dans la quarantaine, pour la plupart. Et a ainsi gagné leur confiance.
Elle travaille fort, Dominique Anglade. « Il faut être drôlement décidée pour devenir cheffe de parti », lance-t-elle avec franchise. Elle a démarré sa campagne beaucoup plus tôt que ses six adversaires potentiels. « Je savais que j’aurais des gens à convaincre », laisse tomber la femme de 46 ans, mère de trois enfants de 8, 11 et 13 ans. Un seul autre candidat, Alexandre Cusson, a aussi fait campagne, pour finalement déclarer forfait. Dominique Anglade a donc été couronnée.
Son engagement envers le service public est en quelque sorte un héritage de ses parents. Ces exilés politiques retournent vivre en Haïti avec leurs deux filles après le départ du dictateur Jean-Claude Duvalier. Dominique a alors 14 ans. Le climat est instable, son père devient ministre du gouvernement Aristide, quelqu’un tire sur son oncle… Ces trois années la marquent. « J’ai vu ce que c’est de se battre pour la démocratie », dit celle qui a été ministre de l’Économie, de la Science et de l’Innovation (de janvier 2016 à octobre 2018) et vice-première ministre du Québec (d’octobre 2017 à octobre 2018) dans le gouvernement de Philippe Couillard.
Maintenant qu’elle est cheffe du Parti libéral, son défi sera de le rebâtir, car il a connu la pire débâcle de son histoire aux élections de 2018. Question d’être fin prête pour celles de 2022. Elle a aussi à assumer le rôle de cheffe de l’opposition en temps de pandémie COVID-19. Elle réfléchit au lendemain de cette crise. « Dans quel genre de société voulons-nous vivre ? demande-t-elle. Comment pensons-nous à nos aînés, à nos plus jeunes, aux inégalités sociales ? Dans une société idéale, chaque individu peut atteindre son plein potentiel. »
Changer le monde ? C’est pour ça que Dominique Anglade fait de la politique.
Marlihan Lopez
Militante afroféministe, elle lutte pour le respect des droits de la personne, surtout ceux des femmes racisées.
Depuis la mort de George Floyd, tué par des policiers aux États-Unis en mai dernier, un vent favorable aux revendications des Noirs déferle sur la planète entière. Les gens écoutent. Enfin. Militante du mouvement Black Lives Matter, la Montréalaise Marlihan Lopez juge le moment « historique ».
« Nous avons enfin cette conversation à plus grande échelle dans les médias », se réjouit-elle. Elle organise des manifestations et prend la parole publiquement pour expliquer les demandes des communautés noires. Les militants exigent entre autres que moins de fonds soient octroyés à la police et davantage aux programmes sociaux venant en aide aux personnes racisées.
Elle cogne aux portes pour faire changer les choses. Dans Montréal-Nord, où vivent de nombreuses personnes racisées, elle œuvre à la mise en place de services en violence sexuelle, autre cause chère à son cœur. « On doit trouver des moyens de prévenir plutôt que de criminaliser nos jeunes », dit-elle.
Une soixantaine d’associations travaillent de concert avec Black Lives Matter. « Je ne fais pas ça toute seule », souligne la militante de 40 ans. Et c’est justement sa force : Marlihan Lopez excelle dans l’art de tisser des liens entre les organisations. Vice-présidente de la Fédération des femmes du Québec, elle est également coordonnatrice à l’Institut Simone de Beauvoir, affilié à l’Université Concordia et consacré à l’étude de la condition féminine et du rapport entre les sexes. Elle est aussi organisatrice communautaire, consultante, formatrice et conférencière. Autant de chapeaux qui lui permettent de porter son message.
Marlihan Lopez avait à peine cinq ans lorsqu’elle a pris conscience de ce qu’était la discrimination. Née à Porto Rico, un État associé aux États-Unis dont les citoyens n’ont pas le droit de vote aux élections américaines, elle venait de déménager dans le sud des États-Unis avec sa famille. « J’ai vite saisi que je ne faisais pas partie du groupe dominant. J’y ai vécu mes premières expériences de racisme. » Son éveil politique se fait alors à vitesse grand V.
« J’ai aussi compris très tôt la situation coloniale de mon pays d’origine. À huit ans, je refusais de faire le serment d’allégeance au drapeau le matin à l’école », se souvient-elle.
Après avoir fait sa maîtrise en études internationales à Montréal au début des années 2000, elle a vécu une dizaine d’années au Vénézuela et à Cuba, attirée par la lutte anticapitaliste et les mouvements sociaux de ces pays. En 2015, cette mère célibataire d’un garçon autiste était de retour dans la métropole québécoise et joignait le mouvement féministe, bien décidée à défendre la cause des femmes. De toutes les femmes.
« Mon père m’a déjà dit que, puisque j’étais une femme noire, la vie serait difficile pour moi. » Alors chaque jour, depuis, elle fait en sorte que ça change.
Tania Ferreira
Cette ex-athlète olympique est allée au front pour soigner les personnes âgées atteintes de la COVID-19. En tant que bénévole.
Une héroïne anonyme. C’est ce qu’a été Tania Ferreira pendant quelques semaines au printemps 2020, au plus fort de la première vague de la COVID-19. Cette masso-kinésithérapeute était en chômage en raison des mesures de confinement décrétées par le gouvernement.
« Je ne pouvais pas rester les bras croisés, ce n’est pas dans ma nature », dit cette ex-athlète qui a représenté le Brésil au judo aux Jeux olympiques de 2000 à Sydney, en Australie. À l’appel du gouvernement, elle se porte donc volontaire pour être préposée aux bénéficiaires dans un CHSLD. Et pas n’importe lequel. Le CHSLD de la Rive, à Laval, où 44 % des 94 résidents sont décédés. Le pire bilan au Québec.
Ses deux premiers quarts de travail se déroulent dans une zone chaude : seulement 2 préposées pour 15 résidents infectés. « Les proches n’avaient pas le droit d’être là. Quand je m’approchais des malades pour les nourrir, ils prenaient ma main et la serraient très fort », raconte-t-elle. Certains commencent à présenter des symptômes l’après-midi et meurent dès le lendemain. A-t-elle eu peur ? « Oui, lorsqu’on voit la force du virus, on est effrayé. Mais on continue malgré tout », dit la femme de 46 ans, installée au Québec depuis une douzaine d’années.
Après trois semaines, alors que la fatigue gagne Tania Ferreira, un homme souffrant de démence tente de l’embrasser et déplace son masque et sa visière. Elle attrape le coronavirus – un test le confirmera.
Durement touchée, elle a des symptômes gastro-intestinaux et dort 20 heures par jour. Elle en a gardé des séquelles : des mois plus tard, une fatigue persistante l’empêche encore de reprendre son boulot de masso-kinésithérapeute à temps plein. Elle travaille désormais à temps partiel.
« Je viens d’une culture où l’on ne peut pas être bien si les autres autour de soi ne le sont pas », dit-elle, assise dans sa cour, masquée et à bonne distance. Referait-elle la même chose ? « Oui », répond-elle, calme et posée. Aucun doute sur son visage. Une vraie héroïne.
Sophie Brochu
Elle est la première femme nommée PDG d’Hydro-Québec.
Cela devait être une année sabbatique. Après 23 ans chez Énergir, dont 12 comme présidente et cheffe de la direction, Sophie Brochu avait quitté l’entreprise avec le sentiment du devoir accompli. Elle s’apprêtait à aller étudier la sociologie en France.
Au bout de trois mois, ses vacances ont pris fin abruptement : le gouvernement lui offrait, sur un plateau d’argent, de devenir PDG d’Hydro-Québec. « La pandémie nous a fait entrer dans une période assez sombre, et je me demandais justement comment mettre la main à la pâte. Je ne pouvais pas rester à cultiver des choux dans mon potager ! » lâche-t-elle.
La quinquagénaire à l’air juvénile avec sa coupe au carré est ainsi devenue la première femme à diriger la société d’État, fondée en 1944.
Un poste taillé sur mesure pour Sophie Brochu. Cette économiste a consacré toute sa carrière au domaine de l’énergie, d’abord à la Société québécoise d’initiatives pétrolières (SOQUIP), puis chez Gaz Métro – devenu Énergir sous sa gouverne –, où elle a gravi les échelons et accéléré le virage vers les énergies renouvelables. Elle entend d’ailleurs continuer à agir pour le bien commun à la société d’État. « Hydro-Québec est au cœur de ce qu’on doit faire en ce moment : développer nos sociétés de façon intelligente sur les plans environnemental, social et économique », dit-elle.
Sophie Brochu se fait un plaisir de parler de son parcours aux femmes qui participent au Défi 100 jours de L’effet A, un programme dont l’objectif est de les aider à propulser leur carrière.
Un message qu’elle leur passe ? Un bon leader fait preuve d’humilité. « On peut avoir confiance en soi tout en étant humble. Avoir confiance en soi, c’est se connaître, savoir quelles sont ses lumières et ses zones d’ombre. Et l’humilité, c’est avoir confiance en ses capacités et, surtout, reconnaître qu’on ne les a pas toutes. Ma force, c’est de bâtir des équipes. Je vais chercher des gens de talent pour m’entourer. »
Son autre grande force, c’est la communication. Elle a d’ailleurs failli être actrice ! Avant de bifurquer vers l’économie, elle a étudié au Conservatoire d’art dramatique de Québec. « Au bout d’un an, j’ai réalisé que je n’étais pas une artiste, mais que j’aimais les comédiens, la créativité et ce milieu. » Voilà sans doute ce qui explique que les comédiens continuent d’être plus nombreux que les gens d’affaires à sa table les fins de semaine…
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