Sur mon écran, une brunette en jean assise dans un fauteuil observe avec délectation le jeune homme aux traits fins debout devant elle. Sourire coquin aux lèvres, il déboutonne sa chemise, dévoilant des pectoraux tout juste assez saillants. Menue, sans poitrine ni fesses disproportionnées, la jeune femme porte des lunettes et n’a rien d’une déesse. Quelques scènes plus tard, ses lunettes ont pris le bord, son jean aussi, et l’Adonis, dévêtu et agenouillé devant elle, lui prodigue un cunnilingus avec, ma foi, beaucoup d’égards.
Ces temps-ci, je regarde des films pornos tous les jours. Par obligation professionnelle. Si, si, je le jure. Mon mandat : produire un reportage sur l’univers de la pornographie féministe. L’une des nombreuses déclinaisons de l’industrie du X qui cherche à déjouer les codes du film « cochon » traditionnel, fait par les hommes à l’intention de ceux-ci.
Qu’on ne s’y trompe pas : tout le monde y finit flambant nu. Pénis, seins, vulves s’y affichent sans pudeur. Mais cette façon de montrer la sexualité est bien différente de ce qu’on a l’habitude de voir. « Le plaisir de la femme y est central et on s’éloigne des stéréotypes », précise Julie Lavigne, professeure au Département de sexologie de l’UQAM et spécialiste de ce genre. Les corps, les cadrages et les scénarios sortent en effet des sempiternelles scènes que je me tape pour ce reportage, où de jeunes actrices se soumettent avec docilité aux moindres désirs des hommes en hurlant de plaisir.
La porno féministe ne représente encore qu’une goutte de lubrifiant dans l’univers visqueux des films pour adultes accessibles sur le web. Elle est, par exemple, à mille lieues du site Pornhub et de ses 42 milliards de visionnements par an. S’il n’existe aucune donnée précise sur sa popularité, elle trouve toutefois de plus en plus sa place sur les écrans des ordinateurs, des tablettes et des téléphones. Depuis une quinzaine d’années, elle se démocratise et s’organise : elle a ses prix, ses stars, ses réalisatrices vedettes, ses festivals. Et à l’heure où des scandales éclaboussent de nombreux géants de l’industrie de la porno (voir « Pornhub dans la tourmente »), elle pourrait devenir la meilleure façon de consommer ce genre d’images de façon éthique.
Oui, éthique, ai-je découvert. Comment est-ce possible ? La façon dont les scènes sont tournées s’avère tout aussi importante que le produit fini. « Le consentement est primordial », souligne Julie Lavigne. Parmi les dizaines de films pornos féministes qu’elle a analysés pour un récent travail de recherche, la plupart permettaient de certifier que les actrices et acteurs avaient participé au projet avec enthousiasme. « Leur accord est souvent manifesté à l’écran, soit verbalement, soit par les gestes esquissés pour diriger le ou la partenaire au cours de la scène. D’autres fois, il est signalé dans le making of du film, par des entrevues avec les acteurs et actrices. »
De nombreux sites comportent même une section décrivant en détail la philosophie et les valeurs qui guident les artisans présents devant et derrière la caméra.
Les sites de porno traditionnelle font rarement preuve d’une telle transparence. Je repense à certaines scènes vues lors de mes pérégrinations sur le web… Surtout à cette actrice maigre et ultra maquillée dont le regard vitreux laissait deviner un état second. À genoux, elle a fait une fellation à chacun des quatre hommes qui l’encerclaient, recevant chaque fois leur semence dans sa bouche grande ouverte, la tête renversée en arrière. Avant qu’ils ne la pénètrent à tour de rôle par tous les orifices possibles. Avait-elle vraiment envie de tout ça ? Il aurait fallu être sur le plateau pour le savoir.
La diversité célébrée
La florissante industrie pornographique québécoise – la province a ses pornstars et les bureaux principaux de Pornhub sont à Montréal, ne l’oublions pas – ne compte pas encore de productrices ou de plateformes de diffusion de porno féministe bien établies.
L’incontournable Anne-Marie Losique, bien ancrée dans le milieu du divertissement pour adultes depuis presque 20 ans, estime qu’elle diffuse non pas des films féministes, mais bien éthiques. Nuance. « C’est très important pour moi que les acteurs soient bien traités, je l’ai toujours dit », souligne-t-elle depuis Los Angeles, où elle s’est installée pour quelques mois.
En legging et kangourou, les cheveux noués, la femme d’affaires sortait d’une séance d’entraînement au moment de notre rencontre virtuelle. Sur ses chaînes télé, les actrices répondent aux standards de beauté classiques, et c’est voulu. « On est dans le fantasme », justifie-t-elle. Des beautés aux jambes aussi interminables que les siennes, il y en a à la tonne dans son offre de films. Bref, les filles qui ressemblent à ma voisine ou à la caissière du supermarché, qu’on pourrait tout à fait voir dans la porno féministe, elle laisse ça à d’autres.
Si je veux en apprendre davantage sur les tournages de ce type de porno, je n’ai donc d’autre choix que de trouver mes sources hors du Québec. En Australie, tiens. Pourquoi pas. La pornographe Ms. Naughty, l’une des pionnières du genre, en a long à dire sur le sujet. « La distribution des rôles est fondamentale. Je prends le temps de parler avec les actrices et les acteurs pour m’assurer que nous partageons la même philosophie. Leur apparence est secondaire », dit la rousse de 47 ans, depuis son bureau, aménagé dans sa résidence du Queensland, dans le nord de l’Australie.
C’est de là que cette réalisatrice organise ses tournages et administre son site, Bright Desire. Les lois encadrant la production de contenu sexuel étant peu permissives au pays des koalas, elle préfère taire son identité et travailler sous son nom d’artiste.
La chimie doit toujours opérer entre les protagonistes, insiste-t-elle. « Je veux qu’ils se regardent dans les yeux pour que je puisse filmer un plaisir authentique. » À travers sa lentille, elle cherche aussi à capter les corps d’hommes de façon artistique et sensuelle. Dans la porno traditionnelle, ils sont souvent hors cadre, puisque les réalisateurs s’en fichent un peu ! Alors que bien des femmes aiment les voir.
Même si elle est hétéro, en couple depuis 25 ans, sans enfant, Ms. Naughty se fait un devoir de représenter toutes les sexualités. Autant par souci de réalisme que par amour de la nouveauté et de la découverte. « On finit par épuiser sa propre liste de fantasmes ! » dit-elle dans un éclat de rire. L’une de ses œuvres récentes – un film en noir et blanc– met en scène l’actrice américaine non binaire Jiz Lee, jambes et aisselles velues, s’adonnant au plaisir solitaire dans une baignoire sur pattes.
Féministe et queer : même combat
La frontière est de plus en plus poreuse entre la pornographie féministe et la pornographie « queer », qui regroupe l’ensemble des minorités sexuelles et de genres. Toutes deux cherchent à explorer la multiplicité des expériences, toujours en s’éloignant du prévisible scénario fellation-pénétration-éjaculation. La diversité des corps y est célébrée, qu’ils soient maigrichons ou dodus, glabres ou poilus, immaculés ou tatoués.
On y voit des femmes aux coupes garçonnes. Des trans qui apprivoisent leur nouveau corps. Des hommes noirs ni grands ni musclés. On est loin des clichés de la pornographie ordinaire, où la « diversité » consiste à présenter des Asiatiques habillées en écolières ou des Latinas quasi nymphomanes…
De quoi réjouir la féministe Martine Delvaux, professeure au Département d’études littéraires de l’UQAM et autrice de l’essai Le Boys Club (Les Éditions du remue-ménage). « Cela défait le stéréotype de l’homme dominant. Dans la porno hardcore, le sexe mâle est toujours filmé en gros plan et c’est sa jouissance qui prédomine », dit-elle.
Même les scènes de lesbianisme sont conçues pour faire bander les gars, juge-t-elle. Des beautés manucurées et épilées intégralement s’émoustillent mutuellement, semblant attendre l’arrivée d’un mec. « C’est la mise en scène d’un fantasme masculin. On invite le public à s’identifier à un homme qui participerait à un trio avec elles », analyse l’essayiste.
Les deux lesbiennes noires dans la trentaine que je verrai plus tard représentent sans doute mieux la réalité des femmes. Leurs rondeurs voluptueuses s’éloignent des standards de beauté habituels. Munies de deux godemichés, les voilà parfaitement autonomes. Et visiblement pas en « attente » d’un homme…
« La porno féministe, c’est offrir un regard féminin sur la sexualité. C’est faire exister les femmes. Comme sujet, comme lieu de désir, comme corps complexe et total », précise Martine Delvaux. Cela peut être hardcore, on peut y voir des cravaches, des gants en latex noir ou du sexe anal. L’important, dit-elle, c’est que les femmes soient en contrôle de leur sexualité et ressentent un plaisir réel.
Pas d’unanimité
L’idée fait débat, on s’en doute bien. « On observe une montée du féminisme anti-pornographie depuis un peu plus d’une décennie », constate la professeure de sexologie Julie Lavigne. Ce n’est pas un hasard : cela correspond à l’explosion du X sur le web, plus foisonnant et accessible que jamais.
Le groupe Pour les droits des femmes du Québec, par exemple, considère que la porno féministe ne vaut pas mieux que la porno traditionnelle, qui génère des revenus annuels de près de 60milliards de dollars en exploitant le corps des femmes. « Pornographie et féministe. Je vois mal comment on peut accoler ces deux mots », tranche Leila Lesbet, présidente du groupe.
À ses yeux, les productrices et réalisatrices, malgré toute leur bonne volonté, ne font que reproduire les schémas de l’industrie mainstream. « Des femmes acceptent de se prêter à des actes sexuels devant la caméra contre rémunération, et d’autres personnes en tirent du profit », expose-t-elle.
La porno féministe peut en effet finir par profiter à des hommes sans scrupules, concède Martine Delvaux. « C’est un risque. Il faut voir qui finit par gagner de l’argent avec ces images », dit l’essayiste. Ce n’est pas une raison pour ne pas créer ces vidéos, selon elle. Mais les productrices doivent veiller au grain. Et les actrices, savoir qu’elles risquent de perdre la maîtrise de leur image.
Réalisatrices assumées
Cela dit, si l’on veut tout de même y jeter un œil, où les trouve-t-on ces films et vidéos ? Des blogues comme feministporn.org recensent plusieurs plateformes en ligne. Il y en a pour tous les goûts, des plus crus aux plus esthétiques, comme A Four Chambered Heart, à la frontière entre le sexe et l’art contemporain. Et dans la plupart de ces sites, on ne s’en étonnera pas, il faut sortir sa carte de crédit.
Une bande-annonce nous émoustille ? On veut voir le film dans son intégralité ? Il faut d’abord payer pour devenir membre du site… Une pratique que la majorité des pornographes féministes ont adoptée. « C’est la meilleure façon de s’assurer que la production de divertissement pour adultes continue de se faire dans de bonnes conditions », souligne Ms. Naughty.
La Française Olympe de G. évoluait déjà dans l’univers du clip et de la publicité lorsqu’elle a tourné son premier film porno en 2016. Assise dans son salon, en Bretagne, l’air détendu dans son pull blanc et le minois plus juvénile que ses 37 ans, elle me raconte en visioconférence le moment où s’est fait le déclic. « J’essayais d’écrire un court métrage, mais je manquais vraiment d’inspiration… jusqu’au jour où j’ai pris conscience que j’avais envie de parler de sexualité. De la honte de mon propre désir que j’avais fini par intérioriser », laisse-t-elle tomber.
Elle a voulu montrer à la face du monde ce que la sexualité devrait être, à son avis : une chose belle, assumée, inventive. Un territoire à explorer sans préjugé, avec curiosité.
Elle a d’abord décidé de jouer dans un film porno, à 33 ans, pour voir cette réalité de l’intérieur. Deux mois plus tard, elle scénarisait et réalisait son premier court métrage, The Bitchhicker, dans lequel elle tient le rôle principal. Au guidon d’une moto, elle fait monter derrière elle un jeune homme qui fait de l’autostop. Et lui offre la ride de sa vie. Au menu : une baise torride au soleil, des corps barbouillés d’huile à moteur, des lanières de cuir, un godemiché…
Ce film est produit par la figure de proue de la porno féministe, la Suédoise Erika Lust, installée à Barcelone depuis des années. Réputée pour ses productions à l’esthétique léchée et ses scénarios originaux, sa boîte propose depuis plusieurs années la série des Xconfessions, diffusée sur la plateforme du même nom, et mettant en scène des fantasmes soumis par son auditoire. The Bitchhicker fait partie de cette série.
Dans son long métrage Une dernière fois, diffusé l’été dernier en France sur Canal+, Olympe de G. brise l’image caricaturale des femmes âgées véhiculée dans les films pornos traditionnels. « Elles sont presque toujours représentées de manière dégradante, des mémés assoiffées de sexe à la touffe poilue », dit la réalisatrice. Son héroïne, Salomé, 69 ans, propose un autre modèle : elle planifie la dernière fois qu’elle fera l’amour, avec grâce et dignité. Le film la suit tandis qu’elle fait passer des auditions pour trouver l’homme ou la femme qui l’accompagnera dans cette ultime extase charnelle.
Plaisir en solo
Si la porno féministe a vu le jour, c’est qu’elle répondait à un besoin. Parce que, non, les consommateurs de porno ne sont pas tous des hommes s’astiquant le poireau les yeux rivés sur leur écran d’ordinateur.
Au pays, 33 % des visiteurs de Pornhub sont en fait des… visiteuses. Un chiffre tout à fait dans la moyenne, la proportion féminine de l’auditoire du site variant de 25 %, en Allemagne, à 39 %, aux Philippines, selon le plus récent sondage annuel mené par l’entreprise.
Au Québec, ce serait 42 % des femmes de 30 à 60 ans qui regardent de la porno – la plupart de façon très occasionnelle et 14 % sur une base régulière –, révèle un sondage SOM-Châtelaine effectué au printemps 2020.
Aucune enquête exhaustive ne permet toutefois d’évaluer la proportion de femmes qui choisissent de se tourner vers des contenus féministes. Ou de mesurer l’auditoire des sites qui les diffusent. Un écueil contre lequel s’est butée Alexandra Fournier, qui mène actuellement une étude sur les consommatrices de pornographie féministe pour son mémoire de maîtrise en sexologie à l’UQAM. « À entendre certains discours, le féminisme et la pornographie sont deux univers irréconciliables. Pourtant, des femmes qui se disent féministes en consomment. Je me suis demandé comment elles vivaient cette expérience », dit l’étudiante de 25 ans.
Ses premières conclusions ? Les femmes qui optent pour la pornographie féministe s’assurent de nourrir leur libido avec du matériel en concordance avec leurs valeurs. « Ces plateformes garantissent la plupart du temps une grande transparence au sujet de leur travail. La personne qui visionne des scènes vit son plaisir sans s’inquiéter de ce qu’elle y verra. »
L’offre est encore trop peu connue, semble-t-il, car la chercheuse a eu un mal fou à recruter la douzaine d’utilisatrices dont elle avait besoin pour faire ses entrevues.
Exit la culpabilité
Dommage, car bien des femmes pourraient y trouver le remède à la honte qu’elles ressentent à consommer du X, d’après la sexologue Myriam Bouchard. À sa clinique, à Chicoutimi, elle reçoit à l’occasion des clientes tiraillées entre leurs désirs et leur sentiment de culpabilité.
« On sait tous que les femmes sont souvent dominées dans la porno traditionnelle. Pour certaines, en regarder leur semble terrible, car elles ne se sentent pas solidaires de leurs semblables. Être excitée, c’est encore pire ! » s’exclame la trentenaire, tout sourire. Elle m’explique ce grand paradoxe. « On peut être stimulée même si la tête et le cœur ne le veulent pas. Le corps, c’est une belle machine dotée d’un système réflexe, d’hormones et de zones érogènes que l’on ne peut maîtriser », souligne-t-elle.
C’est ici que la porno féministe peut être utile. « Comme elle est plus acceptable socialement, le corps se remet au diapason avec les autres dimensions de la sexualité, soit le cœur, la tête, la culture et la société. On lâche prise et les hormones font leur travail », explique la sexologue. On peut jouir en toute sérénité.
C’est bon à savoir, car la porno peut bel et bien bonifier le plaisir. En solo, les utilisatrices de pornographie atteignent en effet plus facilement et plus souvent le 7e ciel que celles qui n’y ont pas recours, ont conclu des chercheurs américains et hongrois après avoir interrogé 2 400 de leurs concitoyennes. Celles-ci ont en outre affirmé que leur orgasme était plus intense.
Jeux d’influence
La bonne nouvelle, c’est que les principes de la porno féministe semblent peu à peu influer sur toute l’industrie. Bellesa, une plateforme web lancée en 2017 par la Montréalaise Michelle Shnaidman, est l’exemple parfait de la porno « faite par des femmes » et « pour elles », même si son contenu ne satisfait pas tous les critères de l’étiquette féministe.
Consommatrice de vidéos X, sa fondatrice en avait ras le bol de traverser un champ de mines misogyne et dégradant pour les femmes chaque fois qu’elle fréquentait ces sites.
Bellesa présente à la fois du contenu gratuit et payant. Des films produits par la réalisatrice américaine Jacky St. James, qui a déjà collaboré avec la productrice Erika Lust, sont offerts dans la section payante du site. Tournés aux États-Unis, ces films jumellent des acteurs et actrices qui ont envie de travailler ensemble.
Les vidéos gratuites, d’une dizaine de minutes chacune, sont aussi produites en majorité par de grosses boîtes américaines. On s’assure que le plaisir des femmes y est valorisé et qu’elles ne se trouvent pas dans des situations dégradantes. « Ce type de sites permet de filtrer le contenu auquel on accède, dit la chercheuse Alexandra Fournier. Mais contrairement à la pornographie féministe, ceux-ci véhiculent plusieurs des codes et stéréotypes de l’industrie mainstream. » Des corps minces, des seins fermes, de longues chevelures aussi soyeuses que dans une publicité de shampooing… Bref, ça ne révolutionne pas le genre. Et en voyant la scène finale d’une vidéo gratuite sur Bellesa, je comprends ce que l’étudiante en sexologie veut dire : après avoir reçu de nombreuses fessées, une jeune nymphe, en pâmoison devant un étalon noir, le supplie d’éjaculer dans sa bouche. Pour l’originalité, on repassera…
Femmes aux commandes
Même si elle ne considère pas faire de la porno féministe, Anne-Marie Losique, PDG de Vanessa Media, précise qu’elle prend grand soin de projeter une image forte des femmes sur ses deux chaînes télé pour adultes. Autant sur Dorcel TV, mise en ondes en Amérique du Nord en partenariat avec le groupe français du même nom, que sur VIXEN, qu’elle vient de lancer en février au Canada avec ce géant américain de la porno.
« Dorcel et VIXEN mettent beaucoup d’argent dans leurs productions et ont des chartes de tournage éthique qui assurent de bonnes conditions de travail aux acteurs et actrices. On est dans l’ultra qualité », précise la femme d’affaires montréalaise.
Anne-Marie Losique a beau être elle-même féministe, elle n’a pas envie de proposer une porno affublée de cette étiquette. « C’est trop revendicateur. Je propose du divertissement pour adultes. Il ne faut pas oublier que les gens regardent ça pour se détendre, pas pour se faire faire la leçon », lance-t-elle dans un éclat de rire.
Elle préfère la voie choisie par l’Américaine Kayden Kross, du studio Deeper. « Elle a un propos intelligent, qui s’apparente à un commentaire sociétal sur le pouvoir, l’argent, la relation des femmes au sexe », dit-elle. Tout cela enrobé dans l’esthétique habituelle des productions pornographiques haut de gamme : déshabillés, talons hauts, actrices aux corps de rêve.
« J’espère qu’on pourra bientôt dépasser ça, la porno d’hommes et la porno de femmes… Je crois que les réalisateurs doivent eux aussi faire de la porno respectueuse. Et s’adresser à tout le monde. »
Pornhub dans la tourmente
Fin 2020, une enquête du quotidien américain New York Times a révélé que la plateforme web Pornhub, qui cumule à elle seule pas moins de 42 milliards de visionnements par an – soit 1300 à la seconde !–, contenait des vidéos de véritables viols et d’agressions sexuelles sur des mineures. Propriétaire du site, la multinationale MindGeek, établie à Montréal (mais enregistrée au Luxembourg pour des raisons fiscales), empochait les millions en prêtant peu d’attention à la nature de ses contenus. Elle a fait le ménage et promis une meilleure surveillance, sans pouvoir garantir que de telles vidéos n’y seront pas diffusées à nouveau.
Considéré comme le YouTube de la porno, le site permet aux utilisateurs d’y téléverser du contenu. Ils y déposent du matériel accessible gratuitement en espérant pouvoir attirer le public vers d’autres sites payants. Pornhub est rentable grâce à la publicité placée en bandeau sur sa plateforme web.
« Ce modèle d’affaires est basé sur le piratage », affirme la productrice de porno féministe Erika Lust dans une récente enquête du quotidien britannique Financial Times. Des scènes tirées de ses films se retrouvent fréquemment sur le site, qu’elle doit interpeller pour les faire retirer.
En présentant gratuitement et de façon illégale le contenu produit par des tiers, Pornhub a fait chuter la valeur commerciale de ceux-ci, avance l’auteur et ex-journaliste Jean-Marc Beausoleil dans l’ouvrage Pornodyssée, une incursion dans les coulisses de la porno made in Québec publiée l’été dernier aux éditions Somme toute. Ce géant serait donc en partie responsable de la dégradation des conditions de travail des actrices et acteurs.
Du côté de la France, la maison de production Jacquie et Michel fait pour sa part l’objet d’une enquête criminelle. Plusieurs actrices débutantes ont dénoncé l’automne dernier les pratiques abusives des équipes de tournage. L’une d’elles a dû consentir à ce qu’un deuxième acteur s’introduise en elle alors qu’un premier la pénétrait déjà. Une autre a été forcée d’accepter une sodomie alors qu’elle avait spécifié au réalisateur qu’elle refusait cette pratique. On les a amenées dans des lieux de tournage glauques – sous-sol de maison peu rassurants, garage au plancher de béton –, ont-elles raconté au quotidien français 20 minutes. Et pour obtenir leur cachet (l’équivalent d’à peine 385 $ par film), elles ont dû affirmer devant la caméra qu’elles avaient consenti à toutes ces pratiques. Ce qui n’était pas le cas.
Cet article Une pornographie féministe ? Oui madame ! est apparu en premier sur Châtelaine.