Vieillir est un privilège, dit-on. Mais derrière cette jolie phrase se cache une réalité moins belle à voir. Quand il est question des aînés, nous préférons souvent détourner le regard. Nous, comme société, comme individu, choisissons de les ignorer.
La pandémie de la COVID-19 a jeté une lumière crue sur le sort des personnes âgées vivant dans des résidences pour retraités ou dans des centres de soins de longue durée. Nous avons dû prendre acte.
Comment expliquer cette déroute ? André Picard, du quotidien torontois The Globe and Mail, a mené enquête. Rien n’a été fait pour protéger les gens vulnérables dans les CHSLD, constate le journaliste spécialisé en santé, l’un des meilleurs au pays.
« Quiconque a une connaissance même approximative des maladies infectieuses devrait savoir que les personnes âgées fragiles vivant en collectivité sont des cibles faciles pour les pathogènes, en particulier les virus respiratoires. Dès que le mot “pandémie” a été prononcé, l’alarme aurait dû être sonnée et les mesures de protection auraient dû être mises en branle », plaide-t-il dans son livre Les grands oubliés – Repenser les soins de nos aînés, paru aux Éditions de l’Homme.
Parmi les hautes instances gouvernementales, personne ne se doutait que les CHSLD, privés et publics, allaient vivre une crise en raison de la COVID19. Vraiment ? La pandémie actuelle est le wake-up call dont nous avions besoin. Il est temps de revoir notre façon de traiter les aînés.
André Picard explique comment les soins de longue durée (SLD) ont toujours été sous-financés au pays. Résultat: le peu d’investissement public a fait monter en flèche le nombre de résidences privées pour aînés.
Dans ces entreprises, la recherche de profits, on le devine, exerce une pression indue sur les soignants et peut compromettre les soins aux bénéficiaires. On n’a qu’à penser à la Résidence Herron, à Dorval, qui, au plus fort de la pandémie, en mars 2020, a laissé ses résidants affamés, déshydratés, sans hygiène ni médicaments pendant des jours. Et pourtant, le loyer mensuel qu’on leur demandait pouvait atteindre jusqu’à 10 000$ !
Le désengagement de l’État menace la qualité de vie des gens du troisième et du quatrième âge, dont les besoins sont grandissants. On vit plus vieux, mais avec davantage d’incapacités – après 85 ans, le quart de la population souffre d’un déclin cognitif. Que faire ?
Les grands oubliés propose des solutions. Garder les aînés plus longtemps à leur domicile en est une. Encore faudra-t-il leur offrir des services de soutien adéquats. « Mais vivre à la maison jusqu’au bout de son âge est beaucoup plus difficile que bien des gens le croient, surtout quand on a franchi le cap des 80 et 90 ans. […] Avec l’âge, les maladies chroniques s’accumulent, le corps devient plus fragile et l’esprit peut être ravagé par la démence. Pour les gens qui vivent seuls, qui sont loin de leur famille ou dont le conjoint est souffrant, les problèmes peuvent compter en double », précise l’auteur.
D’où la nécessité de revoir la formule des SLD. Ce que fait l’État québécois avec les Maisons des aînés et alternatives, qui verront le jour en 2022 – des retards sont toutefois à prévoir.
Ce que préconisent les experts partout dans le monde ? De petites maisons de soins – de 10 à 12 résidants par unité pour les grands établissements – liées à leur communauté et dont le ratio personnel-résidants n’excède pas un pour cinq. Plusieurs pays occidentaux adoptent cette approche. Est-ce que Québec ira jusque-là dans son initiative ? Chose certaine, une révolution s’impose. Vidons les entrepôts où s’entassent les malheureux et malheureuses. Les aînés en perte d’autonomie doivent devenir une priorité pour nos dirigeants et être au cœur de nos collectivités.
Pour aller plus loin
À lire
Une lecture essentielle puisque, tôt ou tard, on devra faire face à son propre vieillissement ou à celui de ses parents. Loin d’être didactique, ce livre se lit comme un grand reportage bien ficelé. Les grands oubliés – Repenser les soins de nos aînés, par André Picard, Les Éditions de l’Homme, 2021
À voir
Cette websérie documentaire explore la dure réalité du vieillissement des Québécois: d’ici 10 ans, les aînés représenteront le quart de notre population. Le portrait que le cinéaste Denys Desjardins en tire ? Très troublant, mais d’une grande intelligence. L’industrie de la vieillesse, par Denys Desjardins, ICI TOU.TV, 2021
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