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Pourquoi est-il si difficile de rompre ?

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Margot* pensait avoir trouvé le grand amour, jusqu’à ce que naisse son premier enfant. Son conjoint, avec qui elle avait pourtant tellement ri, est alors devenu intransigeant et prompt à se mettre en colère pour la moindre broutille. « Je sais que c’est difficile pour tous les couples, mais le chaos que provoque l’arrivée d’un enfant l’a complètement déstabilisé », dit cette trentenaire.

Pour ménager son partenaire et acheter la paix, Margot s’est mise à assumer une part de plus en plus grande des responsabilités familiales. « Il ne faisait pas attention à moi. Il se déchargeait complètement de son rôle de conjoint, et de son rôle de père. Il voyait pourtant qu’il ne me restait plus de jus », dit-elle.

Sa deuxième grossesse n’était pas planifiée. « Pendant deux jours, j’ai pleuré, je n’étais même pas certaine de garder le bébé. Ce n’était pas une nouvelle joyeuse », évoque-t-elle en repensant à ce moment.

Margot poursuit pourtant la relation. Elle confie parfois à ses amies avoir envie de partir, mais reste pour servir de bouclier entre ses bambins et les éclats de colère de leur père. « Pendant longtemps, j’ai cru que c’était moins pire que de me séparer. Et j’avais toujours espoir qu’il change, même si pour moi, c’était clair que notre couple, ce n’était plus pour la vie », raconte-t-elle. Un jour, après une altercation particulièrement explosive − « je le revois qui criait, et mon plus jeune qui pleurait » −, elle le sent : c’est fini.

Partir, revenir

Margot part. Elle déniche un appartement, repeint les murs, décore son nouveau chez-soi. Elle se sent enfin libre. « Je m’étais fait un petit nid, c’était beau ! » dit-elle. Mais être mère de famille monoparentale est plus difficile qu’elle ne l’avait anticipé.

« Quand j’étais toute seule avec les enfants, c’était trop. Et quand ils partaient, la maison était vide. Je ne me sentais pas mieux que quand j’étais avec lui. J’étais à bout, cernée, j’avais perdu du poids… Les enfants s’ennuyaient de leur père. Tout le monde trouvait ça dur », explique-t-elle.

Pendant ce temps, son ex entame une thérapie. Il est plus doux avec les petits, lui apporte des fleurs, lui promet qu’il va changer. « Je ne savais pas si je pouvais le croire, mais j’espérais que la rupture lui avait fait réaliser à quel point sa famille était précieuse et que j’allais retrouver l’homme dont j’avais été si amoureuse. Je le sentais sincère. Et puis, je suis la fille de parents séparés, j’aurais tellement voulu avoir une famille intacte », confie-t-elle.

Presque un an après être partie, elle vend ses meubles sur Kijiji et retourne dans la maison familiale.

Après la lune de miel des premiers mois, les conflits réapparaissent, aussi fréquents et aussi virulents qu’avant. Elle n’ose pas en parler à ses amies ni à ses enfants, tellement heureux de voir leurs parents réunis. « Je me souviens que je me réveillais le matin, à ses côtés. C’était comme un cauchemar ! Je me disais que j’étais prise au piège, que je ne pouvais pas repartir, refaire ça à mes enfants. »

Ce qui retient les femmes

Les femmes sont en général moins heureuses en couple que les hommes, selon diverses études. Un sondage mené en 2014 par l’Austin Institute, un centre de recherche du Texas qui effectue des études sur la famille et la culture, révélait que 20% des femmes mariées interrogées avaient considéré rompre avec leur partenaire au cours de l’année précédente, contre 13% des hommes. Certains couples parviennent à se remettre sur les rails.

Dans les autres cas, comment expliquer que des femmes fortes et rationnelles, comme Margot, persistent à s’enfoncer dans une relation moribonde ?

La psychothérapeute américaine et autrice du livre The Breakup Bible (Harmony Books), Rachel Sussman, rencontre beaucoup de ces couples dans sa pratique privée. Et connaît bien ce qui retient les femmes. « Nous sommes très attachées à notre partenaire, même si nous le fréquentons seulement depuis quelques mois. Nous lui parlons et pensons à lui tous les jours. C’est une relation qui prend une grande place dans notre vie, souvent plus que toutes les autres. Nous y investissons beaucoup. Et tout d’un coup, c’est fini ! Ça peut être traumatisant », dit-elle depuis New York.

Une évidence, peut-être. Mais la littérature scientifique sur les ruptures est mince. Peu d’études ont exploré cette question.

Chose certaine, nous sommes des créatures sociales, et nous avons besoin de connexions humaines, selon Sue Johnson, professeure de psychologie clinique à l’Université d’Ottawa et autrice du livre Serre-moi fort ! (Le Livre de Poche). « Les ruptures amoureuses font mal, et cette douleur est ressentie par notre cerveau de la même manière que la douleur physique. Voilà pourquoi nous voulons l’éviter », explique la psychologue.

Séparation

À la suite de la séparation de leurs parents, les enfants gagneront peut-être davantage d’indépendance, ou une plus grande capacité à faire face à une rupture dans quelques années, selon les spécialistes. (Photo : Getty Images/Fizkes)

Une douleur bien réelle

La similitude de ces douleurs est d’ailleurs bien démontrée (on ne dit pas qu’on a le cœur brisé pour rien !). En 2011, par exemple, des chercheurs de l’Université du Michigan ont soumis des personnes souffrant d’une peine d’amour à un examen d’imagerie par résonance magnétique après leur avoir montré une photo de leur ex. Les mêmes aires du cerveau étaient activées que s’il s’était agi d’une blessure physique. En 2010, dans une autre étude sur la douleur causée par une rupture amoureuse, les participants qui avaient pris de l’acétaminophène (Tylenol) tous les jours pendant trois semaines disaient se sentir moins rejetés que ne le rapportaient ceux qui avaient reçu un placebo.

Le deuil que nous redoutons ne concerne pas seulement une personne que nous avons aimée, mais aussi la fin de toute une vie et de projets communs. C’est un idéal auquel il est difficile de renoncer. « J’ai vécu une peine d’amour, même si c’est moi qui suis partie. J’espérais que cet homme-là soit l’homme de ma vie », dit Margot pour décrire la perte ressentie.

La situation est encore plus compliquée pour les mères. Certaines décident de rester en couple même si elles n’aiment plus leur conjoint, un choix qui sera peut-être le bon pour elles, comme l’explique Rachel Sussman. Leurs enfants y gagneront peut-être davantage d’indépendance, ou une plus grande capacité à faire face à une rupture dans quelques années, par exemple. « C’est personnel. Mais si le divorce est difficile pour les enfants, il faut se rappeler que voir ses parents s’insulter et se faire du mal l’est aussi », dit-elle.

De nombreuses femmes, surtout si elles dépendent financièrement de leur conjoint, n’ont tout simplement pas les moyens de partir. Le taux de divorce a d’ailleurs chuté aux États-Unis pendant la Grande Dépression des années 1930 et la « grande » récession de 2008. (Mais quel impact aura la pandémie de la COVID-19 et ses confinements sur les couples ? Il est trop tôt pour le dire.) D’autres craignent que la séparation engendre une baisse trop importante de leur niveau de vie. Troquer la maison contre un trois et demie n’est pas facile.

Pour toutes ces raisons, les femmes ont tendance à essayer de réparer une relation qui bat de l’aile, au lieu d’y mettre fin. Elles sont plus susceptibles de discerner les points de friction qui minent leur couple et sont plus disposées à en parler, selon Amélie Brown, travailleuse sociale, thérapeute conjugale et psychothérapeute à Montréal. « Les femmes vont faire plus d’efforts pour régler le problème. Si ça ne fonctionne pas, il en résulte une série de microdéceptions et de microruptures qui les amènent à commencer le processus de deuil pendant qu’elles sont encore en couple », avance-t-elle.

À la longue, ces efforts peuvent devenir épuisants. « Les gens ont souvent besoin de recharger leurs batteries avant de prendre une décision, parce que rompre est parfois très exigeant sur le plan organisationnel, surtout s’il y a des enfants dans le portrait », ajoute la thérapeute.

Plus on investit de temps et d’efforts dans une relation, plus il devient difficile de s’en extirper, estime Elizabeth Collins, psychologue clinicienne qui a quitté Montréal pour Cincinnati et dont la thèse de doctorat portait sur les relations amoureuses. Cette conduite est à son avis un bon exemple de dissonance cognitive, un mécanisme qui permet de rationaliser un comportement qui va à l’encontre de ses valeurs. « On se dit qu’on a passé tellement de temps avec quelqu’un et qu’on a traversé tant de choses ensemble, qu’on ne peut pas partir maintenant. Sinon, on a l’impression d’avoir perdu son temps », dit-elle. C’est un peu le même raisonnement qui pousserait, par exemple, un joueur qui a déjà perdu beaucoup d’argent au casino à continuer de jouer, en espérant récupérer ses pertes.

Seule avec ses décisions

Au bout d’un certain temps, il peut devenir gênant de se confier à ses amies. Elles nous ont peut-être déjà conseillé de quitter notre partenaire, ou à tout le moins souvent entendue nous plaindre. « On a parfois l’impression qu’on aurait dû laisser l’autre il y a longtemps, mais je dis à mes clientes de ne pas s’autoflageller. Elles n’étaient peut-être tout simplement pas prêtes à rompre avant. C’est un processus de deuil qui prend du temps », précise Elizabeth Collins. Même les tentatives de rupture ratées peuvent nous permettre d’en apprendre sur nous-même et nous préparer à une vraie cassure.

Dans tout cela, une certaine part d’ambivalence reste inévitable, puisque toutes les relations, même les pires, ont aussi leurs bons côtés. « On n’est jamais certaine à 100%. Ça devient un choix par rapport à soi-même et à son bienêtre », précise Margot.

Comment savoir, dans ce cas, qu’il est temps de rompre ? La fréquence des conflits n’est pas nécessairement un bon indice, selon la psychologue Sue Johnson, qui dit avoir vu de nombreux couples s’entendre comme chien et chat et rester ensemble, parce qu’ils se montraient de l’affection le reste du temps. « Deux personnes peuvent tolérer beaucoup de choses si elles se sentent aimées. C’est l’isolement qui tue », dit-elle.

Rachel Sussman, elle, estime qu’il est temps de partir « lorsqu’on passe beaucoup de temps à penser négativement à la relation, ou lorsqu’on se sent en colère plus souvent qu’on se sent appuyée ».

Dans le cas de Margot, c’est l’effritement du respect mutuel qui a finalement éteint tout espoir de réconciliation. « Pour moi, c’était fondamental. Il y a une espèce de ciment à la base qui n’est pas censé bouger, malgré les chicanes, et j’ai senti que ce ciment-là se fissurait. Une fois que la fissure est là, tu peux essayer de recoller, mais tu la sens », dit-elle. Il y a deux ans, elle a rompu pour de bon.

Les premiers mois ont été difficiles, elle s’y attendait. Il lui fallait pleurer la perte de la famille unie qu’elle aurait tant voulue. « Avoir une seule maison, que les enfants rentrent de l’école, que je fasse des muffins… La maudite image classique », dit-elle. Elle a entrepris une thérapie, qui lui fait beaucoup de bien.

Margot s’est retissé un cocon familial avec ses enfants. « On se colle, on joue dehors après le souper, chose qu’on ne faisait jamais avant. Ils découvrent un côté de moi qu’ils ne connaissaient pas », dit-elle. Sa carrière, à laquelle elle s’est dévouée après sa rupture (« c’était une bouée »), est florissante. Son téléphone, en mode silencieux durant notre entretien, n’a pas cessé de vibrer.

« Les gens me disaient qu’il fallait passer au travers de la première année, et c’est vrai ! Il reste une tristesse quand même, mais tu émerges de ça. Je redécouvre des parties de moi que j’avais enterrées. Je reprends ma place dans ma tête et dans mon cœur. Pour moi, c’est clair que c’est vraiment fini, je ne retournerais jamais en arrière ! » *

* Margot a requis l’anonymat pour protéger la vie privée de ses enfants.

Comment se séparer sans trop de dégâts

Établir le pour et le contre.
La psychologue clinicienne Elizabeth Collins conseille à ses clientes de dresser la liste des raisons qui les poussent à vouloir rester ou partir. « Ce que je regarde surtout, c’est la qualité des arguments. Souvent, ce qu’on remarque, c’est qu’ils n’ont rien de tangible. Ils sont motivés par la peur, qui est notre pire ennemie. Si nous écoutions notre peur, nous n’accomplirions jamais rien », dit-elle.

Penser à demain.
Elizabeth Collins suggère aussi à ses clientes de se remémorer ce qui est important pour elles à long terme. « Changer est difficile, c’est toujours plus facile de se laisser porter par le courant. C’est pour ça qu’il faut se projeter dans l’avenir et se rappeler ses objectifs de départ », souligne-t-elle.

Demander de l’aide.
« Lorsque nous désirons rompre et que nous en sommes incapable, nous devons savoir nous entourer de gens qui vont nous écouter sans porter de jugement et qui pourront nous tenir la main le temps nécessaire », préconise la psychothérapeute Rachel Sussman. Il faudra leur rendre des comptes si on s’éloigne du but.

Cultiver la patience.
Mettre fin à une relation fait mal, c’est inévitable. « Mes clients ont de la difficulté à composer avec cela. Ils me demandent souvent: “Quand vais-je me sentir mieux ?” Ça prend du temps !» dit Rachel Sussman. Combien de temps exactement ? Cela dépend de chacun. La thérapeute indique toutefois que la plupart de ses patients disent se sentir mieux après environ 18 mois.

Prendre du recul.
« Je ne crois pas trop aux ex qui affirment être devenus des meilleurs amis. C’est juste… bizarre. Après une rupture, on est blessé, il faut un peu de distance pour s’en remettre », juge Rachel Sussman. Pour ceux qui ont des enfants et qui veulent limiter leurs contacts, il existe même des applications pour téléphone intelligent, comme 2houses, qui permettent de coordonner toute la logistique familiale sans le moindre texto sarcastique.

S’occuper de soi.
On a peut-être l’habitude de s’occuper des autres, mais vivre une séparation commande de penser à soi. « Prendre soin de son corps et de son âme est crucial, il va falloir des forces pour traverser les prochains mois », avance Rachel Sussman. C’est le moment de ressortir ses vieilles listes de résolutions non tenues – amorcer une thérapie, réduire sa consommation d’alcool, s’inscrire à l’université, faire du bénévolat ou se mettre au yoga.

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