J’ai parcouru ma bibliothèque à la recherche de mots pour me consoler. Plus précisément ceux de l’autrice féministe Hélène Pedneault. Dans La douleur des volcans, sorti au début des années 1990, elle s’ouvre sur la blessure lancinante qu’a été la perte de sa mère.
À l’époque, dans la jeune vingtaine, j’avais acheté ce livre, mais ne l’avais pas lu. Je savais qu’un jour j’y trouverais réconfort. Le bouquin était toujours là, intact malgré les pages jaunies. Il était temps de m’y plonger : ma maman venait de succomber à une longue maladie. « Personne ne nous prévient jamais que la mort de notre mère nous enferme dans un labyrinthe dont tous les couloirs mènent à la solitude », écrivait la chroniqueuse, décédée d’un cancer en 2008. S’il n’y a qu’une phrase à retenir de ce récit, ce sera celle-là.
***
La chambre de l’hôpital est baignée de soleil, de ce soleil hivernal qui plante une lumière blanche sur le jour. Par-delà les immenses fenêtres, le quartier de mon enfance, cette ville que tu aimes tant. C’est ici que tu rendras ton dernier souffle.
Ta respiration bruyante, tantôt courte, tantôt espacée, brise le silence. D’abord, je te guette, inquiète. Je ne sais pas, moi, comment on accompagne une mourante. Malgré ton état comateux, tu m’entends, j’en suis convaincue. Je te parlerai et je te ferai entendre de la musique, dont le Stabat Mater, de Pergolesi. Tu réagiras d’ailleurs à ma présence à plus d’une occasion.
« T’as vu, maman ? » que je te répète. Toi, qui t’émerveilles de tout, tu apprécierais l’immense ciel qui se déploie dehors. Les rayons du soleil percent les nuages en de longs faisceaux obliques. Il paraît que ces pieds de vent annoncent un présage : le bon Dieu est sur le point de descendre sur Terre, selon la croyance populaire. Tu ne traîneras pas. Toi qui avais la hantise d’importuner tes proches…
« Tu as autre chose à faire ! Je ne veux pas déranger », me disais-tu quand je t’invitais à sortir ou à venir à la maison. Tu commençais toujours par refuser. Pas par coquetterie ni pour te faire prier. Tu ne voulais pas que ta présence gêne qui que ce soit. Et surtout, tu souhaitais que je « vive ma vie » comme si tu n’en étais pas un élément essentiel. Tu es partie de la même manière que tu as vécu. En toute discrétion. Transférée aux soins palliatifs le vendredi midi, tu prendras ton aller simple pour l’éternité dès le dimanche soir. Ton bagage était si léger.
Comme mes sœurs et mon frère, je mesure la chance que j’ai eue d’accompagner ma mère dans ce dernier passage, en ces temps de pandémie. Un immense cadeau malgré la cruelle épreuve. Surtout quand je lis les témoignages des endeuillés de la COVID-19 sur les réseaux sociaux ou dans les médias. Beaucoup ont dû renoncer à une dernière caresse, un ultime merci. Comme je compatis avec eux. Ne l’oublions pas, la pandémie a fauché la vie de plus de 10000 Québécois et Québécoises jusqu’ici et fait combien d’autres victimes collatérales. L’Institut de la statistique du Québec a d’ailleurs enregistré une hausse du nombre de décès de 10% en 2020 par rapport à 2019.
Ça fait beaucoup d’endeuillés. Beaucoup trop.
Des œuvres qui consolent
La mère morte, par Blandine de Caunes, Stock, 2020
L’écrivaine et féministe française Benoîte Groult s’est éteinte à 96 ans, il y a 5 ans. L’une de ses filles relate les derniers mois de la vie de cette intellectuelle diminuée par l’alzheimer. Ce récit ne se limite pas au deuil d’une enfant mais révèle aussi celui d’une mère : l’autrice perd presque au même moment sa fille unique, Violette, 36 ans, à la suite d’un accident de voiture. Le ton est lucide, très poignant.
CHSLD, par François Delisle, sur l’extra de TOU.TV, 20 minutes, 2020
Le cinéaste François Delisle (Le bonheur c’est une chanson triste, Chorus, Cash Nexus) se tourne vers le documentaire de l’intime avec ce court métrage construit au moyen de photos. Il accompagne – avec dignité et amour – sa mère en fin de vie. Un portrait d’une grande beauté malgré le décor déprimant du CHSLD.
Le compte Instagram de Cheryle St. Onge
Pendant quelques années, la photographe américaine Cheryle St. Onge a pris des photos de sa mère, Carole, qu’elle a partagées sur Instagram et sur son site web. Le résultat : des images joyeuses et espiègles d’une vieille dame pleine de vie. Carole est décédée en octobre dernier
Johanne Lauzon, rédactrice en chef
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