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Livre du mois: Sacrifice

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livre.mois.sacrifice.articleL’histoire

Un quartier noir d’une petite ville fictive du New Jersey, en 1987. Une mère éplorée cherche sa fille de 14 ans, disparue depuis trois jours. On retrouvera celle-ci dans une usine désaffectée, ligotée, le visage tuméfié. Elle accuse des « flics blancs » de l’avoir enlevée au sortir de l’école, séquestrée, violée et abandonnée dans cet endroit sordide. Transportée à l’hôpital, elle refuse de se faire examiner par un médecin blanc, mais consent finalement à s’entretenir avec une policière pourvu qu’elle soit noire. Cette dernière décèle des trous dans l’histoire…

Les personnages

Sybilla Frye, adolescente farouche entraînée dans des événements qui la dépassent. Ednetta Frye, mater dolorosa. Anis Schutt, beau-père de Sybilla, homme en colère. Ada Furst, professeure suppléante, qui découvre et sauve l’ado. Ines Iglesias, « Hispanique au teint clair », détective chargée de l’enquête. Marus Mudrik, pasteur, et son frère jumeau Byron, avocat des droits civiques. Imposteurs, ils lancent des croisades lucratives pour leur propre profit. Le Prince noir, « guerrier » du Royaume de l’islam.

On aime

La passion indignée de l’auteure. Son ironie mordante. Sa plume vive brossant un portrait des « sacrifiés » : familles aux prises avec le racisme, la pauvreté, la violence, la misogynie, jeunes sans avenir, femmes bloquées dans leur vie professionnelle à cause de la couleur de leur peau.

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Photo: Marion Ettlinger

L’auteure

Joyce Carol Oates est née en 1938 à Lockport, dans l’État de New York. En 1961, elle obtient une maîtrise en lettres et se marie avec Raymond Smith, professeur de littérature (décédé en 2008). Elle s’installe à Détroit, où les tensions raciales lui inspirent Eux (Them, 1969), couronné par le National Book Award. « Quoique se déroulant des années plus tard, Sacrifice est étroitement lié à Eux », écrit Joyce Carol Oates en dernière page de son roman. Professeure de création littéraire à l’Université de Princeton jusqu’en 2014, deux fois finaliste au Nobel, elle a publié plus de 70 titres – essais, nouvelles, théâtre, poésie –, récompensés par une pléthore de prix et de distinctions.

Philippe Rey éditeur, traduction de Claude Seban, 384 pages

POUR LIRE UN EXTRAIT DU ROMAN SACRIFICE

Les critiques du Club de lecture Châtelaine

NathalieThibaultNathalie Thibault

J’ai aimé : S’billa Frye, 14 ans, pure fillette avec ses nattes, jeune effrontée dévergondée ; ’Netta Frye, maman aimante et entourante, amoureuse de l’inquiétant Anis et victime de son pouvoir. Autour de ces deux personnages gravitent gourous, manipulateurs, journalistes et citoyens. Un événement, le viol de Sybilla, va galvaniser toute la ville du New Jersey des années 1980. Ce sont des flics blancs qui seraient les coupables, à moins que… Cet événement sera interprété selon la couleur, la position sociale et la religion des narrateurs, qui, comme dans tout bon roman choral, se répondront en écho, tant et si bien que l’on est souvent déstabilisé devant le récit différent de mêmes scènes. Où est la vérité ? Le pari de l’auteure est sans doute que cela importe peu. C’est le combat des lectures de cette vérité qui fascine et qui désole ! Sacrifice est un roman très dur, évidemment, par son thème et son actualité. Il est très exigeant aussi par sa structure narrative. La vitalité de la plume de l’auteure est remarquable, tout comme son habileté à semer subtilement le doute dans notre interprétation du sombre événement. On termine la lecture épuisé, le rythme s’accélérant de chapitre en chapitre, de doute en doute, de déni en déni. Exigeant, mais captivant, parce qu’on sent bien que tout n’est jamais aussi clair, aussi blanc ou aussi noir !

Je n’ai pas aimé : Assurément, ce n’est pas un roman de plage. C’est une lecture difficile, y compris par son vocabulaire dont le choix agace parfois, traduction oblige.

Ma note sur 10 : 9

karine martelKarine Martel

J’ai aimé : C’est une histoire troublante où l’auteure nous tient dans un entre-deux inconfortable, entre la culpabilité et l’innocence. Cet inconfort fait en sorte qu’il est impossible de prendre position. Au bout du compte, tout le monde est coupable et tout le monde est victime. Aucun des personnages ne s’en sort indemne, et surtout, aucun n’en sort gagnant. J’ai également été captivée par le contexte de conflit racial aux États-Unis, malheureusement encore d’actualité, où la violence et la peur sont omniprésentes.

J’ai moins aimé : Je n’ai pas réussi à m’identifier aux personnages principaux, puisqu’on ne les connaît qu’en surface. J’aurais aimé les comprendre davantage, aller plus en détail dans leur passé et dans leur tête, au lieu de passer rapidement d’un à l’autre. Le seul qui soit davantage creusé est le beau-père, qu’on voit très peu même s’il a un rôle clé dans l’histoire. C’est le seul auquel j’ai eu envie de m’attacher, alors que je n’ai été que peu attendrie par la jeune victime, ce qui ajoute au sentiment d’inconfort moral dans lequel l’auteure nous plonge.

Ma note sur 10 : 7

marie-claude_n_bMarie-Claude Rioux

J’ai aimé : La façon dont Joyce Carol Oates raconte une histoire explosive, très actuelle, à travers plusieurs points de vue. Sacrifice lève le voile sur une nouvelle compréhension – choquante – du pouvoir et de l’oppression, de l’innocence et de la culpabilité, de la vérité et du sensationnalisme. J’aime l’écriture de Oates : vive, chirurgicale, sans fioritures. La façon percutante qu’elle a d’entrelacer le social et l’intime. Habile conteuse, elle a le don d’entraîner son lecteur là où elle veut et de le malmener à sa guise. On ne sort pas indemne d’un tel roman. Magistral !

J’ai moins aimé : Absolument rien !

Autres commentaires : Je lis tout ce que publie Joyce Carol Oates. Si certains romans ou recueils de nouvelles sont moins efficaces, Sacrifice se révèle un très, très grand cru.

Ma note sur 10 : 10

mariellegamacheMarielle Gamache

J’ai aimé : D’entrée de jeu, l’histoire plonge dans le drame : Ednetta Frye cherche désespérément Sybilla, sa fille, jeune adolescente noire disparue depuis trois jours. Les événements qui suivent, dévoilés de façon linéaire, soutiennent l’intérêt. La rigueur dont fait montre Oates en abordant le thème de la réalité raciale donne un ton juste au roman.

J’ai moins aimé :  La fin trop abrupte, qui laisse le lecteur en plan sur certains points non résolus ou tout au moins ambigus.

Autres commentaires :  Un roman inspiré d’un fait réel décuple toujours ma curiosité. Ce dernier m’a grandement satisfaite malgré les sentiments de révolte et d’injustice qu’il suscite. Sacrifice est incontestablement un récit fort qui laisse sa trace.

Ma note sur 10 :  8

Anja_DjogoAnja Djogo

J’ai aimé : Un livre qui se lit d’un trait, comme un bon roman policier. Les alternances de points de vue sont efficaces et permettent de créer une histoire complexe, tout en nuances.

J’ai moins aimé : Dire que le choix du thème est audacieux – particulièrement pour une auteure blanche et dans le contexte du mouvement Black Lives Matter – est un euphémisme. Bien que je comprenne la démarche créative de Oates, qui vise à raconter des faits plutôt que de chercher à les justifier, j’ai refermé ce livre avec un grand sentiment de malaise.

Autres commentaires : Un livre qui m’a laissée profondément perplexe. Et je ne sais toujours pas si c’est une bonne ou une mauvaise chose…

Ma note sur 10 : 7,5

SandrineDesbiensSandrine Desbiens

J’ai aimé : L’intrigue en général, les personnages bien distribués. Le fil se tient et le suspense également. Le dénouement est très intéressant quoique prévisible. La présence grandissante des personnages jusqu’à la fin contribue au maintien de l’histoire.

J’ai moins aimé : Déjà, ce n’est pas un thème qui me plaît particulièrement. De plus, la manière dont l’histoire est racontée laisse plein de doutes et de trous qui ne font qu’exaspérer le lecteur à mesure qu’on avance. Les personnages sont assez fades, et la différence entre Noir et Blanc finit par les diviser et constituer leur principal trait de personnalité. Anis, le beau-père, choque par sa non-présence et son sale caractère. La mère enrage, comme si elle voulait tout oublier et se mettre la tête dans le sable. Sybilla joue cependant très bien la victime.

Ma note sur 10 : 5

ChristianAzzam-1Christian Azzam

J’ai aimé : Qu’une grande auteure prête sa voix aux victimes de gestes racistes, immondes, révoltants, désolants de violence et d’injustice. Ce roman est d’ailleurs plus que jamais d’actualité, et ce, bien que sa trame tire son origine d’un fait survenu à la fin des années 1980, tant les nouvelles des derniers mois en provenance de nos voisins du Sud nous rappellent, semaine après semaine, que les problèmes raciaux sont loin d’être chose du passé. Qui plus est, il semble que l’auteure ait été pressentie pour gagner le prix Nobel de littérature, que Bob Dylan a finalement raflé à la surprise de tous.

J’ai moins aimé : Est-ce parce que nous sommes résolument au 21siècle que le rythme m’a quelque peu dérangé, moi qui aurais aimé que l’histoire défile plus rapidement et que l’on entre dans le feu de l’action dès les premiers chapitres ? Au contraire, on avance très lentement et cela n’est pas étranger au fait que je ne me sois pas laissé emporter par le récit. Je n’ai pas aimé non plus les passages rédigés en langage parlé, mais c’est sans conteste un problème de traduction, puisque l’effet doit être bien mieux réussi dans la version originale anglaise.

Ma note sur 10 : 7,5

isabellegoupilsormanyIsabelle Goupil-Sormany

J’ai aimé : Le propos est courageux et audacieux. L’auteure ose dénoncer la récupération médiatique et politique d’événements tragiques appelant des changements qui tardent à advenir. Elle s’attaque à de nombreux tabous. Ce roman mérite notre attention, pour autant qu’on ait le cœur solide et surtout qu’on soit capable de mettre en veilleuse une colère qui grondera invariablement au gré des pages.

J’ai moins aimé : La narration est parfois instable et déstabilisante. Le texte n’est pas toujours égal, et j’ai parfois perdu du temps à combler les vides narratifs ou encore à m’adapter aux changements de ton et de point de vue qui surviennent à certains moments, surtout en début de roman.

Autres commentaires : Sans doute à tort, j’ai souvent tenté, autour d’un café ou d’une bière, une explication de la violence ségrégationniste américaine. Sans jamais réellement la comprendre pourtant. Cet été, le décès de Philando Castile, filmé par sa conjointe en présence de leur fille, a ravivé ces discussions plus que jamais. L’auteure Joyce Carole Oates nous offre sa propre explication cynique de cette violence. La fin du roman, écrite bien avant l’événement du Minnesota, s’imprime dans mon esprit avec une violence décuplée : le réel et le fictif se sont rejoints étrangement.

Cela dit, ce livre porte sur le racisme et l’opportunisme, mais aussi sur les inégalités sociales, qui tuent peu à peu la société américaine. Car, au-delà de la question de la couleur, qu’on ne peut vraiment pas oublier, il y a la pauvreté inévitable, mais surtout la volonté sociale de s’en sortir par le pouvoir et les abus. C’est horriblement violent, injuste et ça m’a fait mal. J’ai eu beaucoup de difficulté à lire ce roman, dont la violence aux multiples visages nous prend au ventre et nous fait perdre un peu espoir en l’humanité.

Ma note sur 10 : 8,5

SoniagrattonSonia Gratton

J’ai aimé : D’abord, le fond : les sujets abordés – le racisme, la brutalité policière, les préjugés, la médiatisation, la violence, la relation mère-fille, l’image publique, les droits civiques, et on pourrait continuer ainsi, tellement c’est dense ! – sont extrêmement sensibles et importants, et malheureusement toujours d’actualité. La diversité des personnages et des principes de narration multiplie les points de vue et précise le propos. La portée dramatique de l’histoire est forte, même si certains personnages gagneraient à être explorés plus intimement. Puis, la forme : l’écriture de Oates est fluide et maîtrisée, ses longues phrases sont portées par un souffle impressionnant, son vocabulaire est riche, son style est d’une grande élégance. Même son habitude de répéter, de reformuler, son utilisation abondante de l’italique et des parenthèses, qui pourraient énerver dans un autre contexte, m’ont paru le fait d’une écrivaine en pleine possession de ses moyens. Une excellente lecture.

J’ai moins aimé : Les dialogues en « petit-nègre » peuvent vraiment sembler condescendants et agresser, même si on peut comprendre le souci de « réalisme ». On ne s’habitue pas, ça reste insupportable. Aussi, à force de s’intéresser au point de vue de chacun, Oates finit par seulement effleurer là où on aurait voulu qu’elle ose aller en profondeur et qu’elle crève l’abcès, surtout avec un sujet aussi douloureux, poignant et essentiel.

Ma note sur 10 : 9

 

 

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